Je sais que je vous barbe avec mes histoires…l’hôpital marocain n’est pas une mine à idées joyeuses…
Le manque d’information et d’orientation se fait sentir dans les couloirs de nos hôpitaux. D’une garde à l’autre, je constate que les marocains ont un rapport quasi marrant avec les Urgences…
Depuis mes premières gardes, j’ai pu enfin classer la fameuse série Urgences dans la catégorie : science fiction, et pour ce, je leur donnerai le premier award !!!
Oubliez le Dr Carter qui court dans tous les sens, oubliez les infirmiers qui se mobilisent pour entourer le malade et le rassurer, oubliez même les gants stériles, les thermomètres, l’alcool, les scanners et les nébulisateurs…oubliez tout…vous rentrez dans une nouvelle dimension. Aux limites du réel…
Les Urgences. Pas la peine de vous alarmer. On en voit très peu. L’individu marocain, a un autre rapport avec les urgences. Un bouton qui gratte est une Urgence.
Mais au-delà des pellicules qui dérangent et qui motivent une consultation à six heures du matin, au-delà des douleurs articulaires qui datent de plus d’un an, et pour lesquelles on vient vous voir à minuit un Dimanche…au-delà de tout ce qui frôle l’irréel et qui va certainement me rendre folle un jour, y’a des histoires qui marquent, qui font mal.
Deux ouvriers se présentent, en tenue de travail. Nous sommes Dimanche matin. L’un d’entre eux est tordu de douleur, il arrive à peine à respirer, il marche difficilement, la douleur le déchire, son teint est pâle, ses yeux sont larmoyants. Le patient a mal, la douleur est insupportable.
Sur les yeux de son accompagnateur, se lit une peur très grande. Peur de l’inconnu. Peur pour son copain.
Ils viennent de loin, de Tiznit…ils travaillent à Kénitra. Un voyage, un antécédent de calcul rénal, le diagnostic est posé : une colique néphrétique. On élimine les autres urgences rapidement. On lui fait une injection pour soulager sa douleur.
Le patient revient, il va mieux, il arrive à marcher. La misère se lit sur ses rides, la douleur qui couvrait son visage a laissé place à un regard terne, triste, écrasé par la dureté de la vie.
Il s’assoit, les yeux fixant un point au sol. Je lui rédige son ordonnance.
Je me suis rappelée que j’avais un anti-inflammatoire dans la voiture, des suppositoires – qu’un copain a refusé de prendre alors qu’il se tordait de douleur, va comprendre ce qui se passe dans la tête des mecs ;-)-, je suis allée le chercher et je l’ai donné au malade.
En sortant de la salle, il m’a filé 20 Dhs. Je lui ai expliqué gentiment mais fermement que c’était mon devoir, et son droit. Il m’a dit que c’était parce que je lui ai donné le médicament.
J’ai insisté sur le fait que c’était mon devoir de faire ça.
Ce n’est pas la première fois qu’on essaie de me corrompre. Mais ce qui m’a fait mal, c’est que cet ouvrier -qui trouve à peine de quoi survivre- ne réalise pas, ou peut être ne sait pas que comme tout citoyen, il a droit aux soins de santé. Ça m’a fait mal au cœur…