Je ne connaissais pas la ville. Il a décidé de l’endroit, un café américanisé.
Nous nous installâmes après avoir récupéré nos chocolats chauds. Nous nous retrouvâmes comme deux étrangers. Silence religieux. Nos regards fatigués se fuirent, se cherchèrent, s’interrogèrent, se découvrirent.
Il est 7 heures du matin, cela fait deux jours que nous nous battions contre Morphée, la lutte fut rude, mais comme deux braves chevaliers revenus de la guerre, nous nous délections tacitement de notre gloire. Silence encore.
Je ressentis une gêne crispée. Mon visage resta muet, le sien aussi. Je continuais à tourner machinalement ma cuillère ; une façon élégante de masquer mon masochisme, car en dépit de toute la lourdeur de l’ambiance, j’étais contente de l’avoir en face.
Il observait le mouvement machinal de ma main, il y percevait mon pouls, et guettait les moments de nervosité pour me jeter des regards mi-surpris mi-glorieux.
J’observais son regard, il dégageait un angélisme diabolique, il était à la fois méchant et attendrissant.
Les premières palabres étaient timides et maladroites. Parler des autres n’est il pas une échappatoire ? Nous étions comme dans un match de football sans ballon, on courrait presque aveuglement vers le but.
Les autres dont on parlait étaient notre ballon imaginaire, à travers eux, nous nous parlions, nous nous séduisions et nous marquions des points.
Petit à petit, nous nous approchions l’un de l’autre. Le déclenchement du sentiment de jalousie marche à tous les coups. Je marque un point. Sa contre attaque ne tarda pas. Il utilisa une autre tactique : L’indifférence. Les nœuds de nos langues semblaient se dissiper et après plus de trente minutes de résistance, il avoua son faible pour moi.
Il l’a dit avec beaucoup d’arrogance, je dirai même avec du mépris. Paradoxalement, je trouvai son aveu délicieusement romantique.
Je souris, mes yeux se rivèrent sur lui requérant encore plus d’aveux. Ses yeux étaient la rivière de mon Narcisse.
On s’échangea quelques compliments, dès qu’il prenait la parole, je sentais mon épiderme se couvrir de cils auditifs. Je devenais toute, une grande oreille.
La séance des éloges touchait à sa fin, l’arbitre – sorti de nulle part- siffla la fin du match, les gradins se remplirent comme par magie ; et sous le regard admirateur des spectateurs, nous avançâmes la tête haute, tantôt en gladiateurs sans épée, tantôt en footballeurs sans ballon. De tous les combats, mon Narcisse avait gagné.